Charles Marx médecin, résistant, ministre et communiste luxembourgeois

Le docteur Charles Marx nous a quitté le 13 juin 1946, il y a soixante ans, jour pour jour. Frappé, voire choqué par l’anonymat dans lequel l’histoire a plongé ce grand médecin, patriote, et - ce qui ne gâche rien - communiste luxembourgeois, choqué donc par l’ignorance quasi-totale de presque tout le monde sur son destin tragique et sur le rôle majeur qu’il joua au Luxembourg, j’ai décidé d’agir. Et agir, pour moi, c’est chercher à comprendre, courir à droite à gauche, fouiller partout, dans les bibliothèques, les archives, Internet, embêter tout le monde, ordonner, collationner et, enfin, écrire.

Il y a certes encore pas mal de questions qui restent posées, et l’un ou l’autre mystère - celui, par exemple, qui entoure l’accident où sa femme et lui trouvèrent la mort - reste entier. Dans le souvenir de la majorité des Luxembourgeois - et je ne parle pas d’enfants ou de jeunes, mais d’adultes et même de personnes âgées - le Dr Charles Marx, c’est au mieux le nom d’un boulevard à Luxembourg ville et d’un square à Ettelbruck. Et encore, nombreux sont ceux qui pensent que cette appellation se réfère au grand philosophe, historien et économiste allemand du XIXe, que l’on appelait également Doktor Karl Marx. Le prénom officiel de Charles Marx était effectivement Karl. C’est d’ailleurs - peut-on supposer - à cause de cette homonymie, qui prêtera parfois à confusion, ou à sourire, que Karl finira par se faire appeler Charles.

En fait, de sa naissance, le 26.7.1903, jusqu’à son adolescence, ainsi que sur son milieu familial, c’est, du moins pour moi, le trou noir; mais je continue à chercher. Tout que j’ai trouvé jusqu’à ce jour, c’est qu’exceptionnellement intelligent, il fut très tôt conscient des enjeux politiques et sociaux de son époque, ainsi que de la masse de sombres nuages qui s’amoncelait outre Moselle. Fondateur dès l’âge de 16 ans des "Jeunesses Socialistes", on le trouve à 17 ans discutant activement au Cercle social-démocratique de Luxembourg Ville (compte-rendu 27.7. 1920).

Charles Marx sera en tout cas bientôt vivement critiqué par le Parti Social-démocrate à cause de ses positions révolutionnaires et anti-élitistes. (1) Il s’oriente en effet idéologiquement sur le Groupe français "Clarté" fondé par Henri Barbusse (2), et exige en décembre 1920 une adhésion inconditionnelle à l’Internationale ("Der Kampf", 9.12. 1920). Lors de leur congrès du 13.2.1921, la grande majorité des membres des "Jeunesses socialistes" le suivent, avalisant la division du Parti Socialiste, et changent le nom de leur groupe en "Jeunesses Communistes". Leur journal ne s’appellera désormais plus "Neue Jugend", mais "Der Junge Kommunist".

En 1922 il se rend à Paris pour y étudier médecine. Il y sera notamment l’élève du Professeur Cunéo (?) à l’Hôtel-dieu et s’occupera également beaucoup de planification et d’organisation hospitalière. Devenu gynécologue et chirurgien spécialiste de l’estomac, il aurait été nommé interne des Hôpitaux de Paris et se serait très vite vu promouvoir chef de Clinique. Il aura été, semble-t-il, le premier étranger à accéder à ce poste. En 1935 sera publiée sa thèse de doctorat sur les soins postopératoires, et particulièrement sur ceux qui doivent être apportés aux patients après les opérations à l’estomac. (a, i, o, n, x, z)

En 1936, de retour au Grand-duché, il reprend et modernise à ses frais l’hôpital communal d’Ettelbrück, situé dans les locaux de l’ancienne école agricole, et en fait une clinique privée: la Clinique St. Louis, qui est la première clinique chirurgicale du Nord du pays. Il dirigera la clinique notamment avec l’aide du docteur Schumacher de Dudelange et avec le concours de soeurs de la Congrégation du Très Saint Sauveur, qu’il a fait venir de Niederbronn (près de Colmar, Alsace), qui avaient une formation hospitalière sérieuse. Le soeurs resteront à Ettelbruck jusqu’en 1971.

Brève parenthèse! Après le décès accidentel du Dr Charles Marx en 1946, la clinique sera reprise par la Commune d’Ettelbruck avec le statut d’hospice civil et avec le nom de Clinique Dr Charles Marx. Ce titre illustre, attaché à l’ancienne clinique a été toutefois abandonné en 1963 pour la nouvelle Clinique Saint Louis après construction de celle-ci. Sacrifié sur l’autel de la guerre froide et de la mémoire pattonienne? Et tant pis pour la mémoire luxembourgeoise! Fermez la parenthèse!

Le 2. avril 1940, six semaines donc avant l’avalanche nazie, Charles Marx empêche l’internement par le gouvernement Dupong (fort accommodant à l’époque avec le Reich) de deux aviateurs français de reconnaissance hospitalisés à Ettelbruck. Leur avion, touché par la d.c.a. allemande était en effet tombé entre Schieren et Feulen. Les deux français blessés - le futur général Faure et son adjudant Lherbiet - ont donc été confiés aux soins du docteur Marx, qui, non seulement les fit soigner, mais organisa leur évasion avec l’aide du docteur Schumacher.

Cela provoqua un véritable tollé au plus haut niveau étatique et diplomatique. Le Gouvernement, dont certains éléments, sans être carrément pro-allemands préféraient faire semblant de croire en une improbable neutralité du Grand-duché, d’autres ayant simplement peur d’irriter notre puissant et agressif voisin, le Gouvernement donc, intenta (ou fit intenter) un procès contre les fauteurs de cette évasion. Mais entre-temps, c’est-à-dire le 10 mai, les troupes allemandes pénètrent au Grand-duché.

L’occupation du pays changeait évidemment la donne, car les allemands ne sont désormais plus obligés de proférer des menaces par diplomates interposés. Marx et même Schumacher n’ont donc d’autre choix que de prendre le large. Cela s’imposait de toute évidence, car, malgré la sympathie populaire que leur vaut leur geste, qui eût pu leur faire espérer une issue favorable à un procès "purement luxembourgeois", il n’y avait aucune chance que les Nazis se montrent compréhensifs. Heureux pressentiment! En effet, les allemands feront condamner Marx en novembre, par contumace, à deux ans de prison... et ce n’est qu’un début. (b, c, n, t, v)

Mais en novembre 1940 Charles Marx est déjà loin. Désormais délégué de la Croix Rouge Luxembourgeoise en France, (Ambulance Franco-belge Depage), mais incapable de se cantonner à un rôle purement administratif, il reprend d’un médecin de Perpignan une clinique à Quillan, dans l’Aude, au pied des Pyrénées. Là bas il pourra de nouveau exercer son métier de médecin et chirurgien, et aura déjà fréquemment l’occasion de servir sa patrie en tant que personne de contact entre résistants luxembourgeois et Maquis français.

Marx n’en restera cependant pas là. La clinique de Quillan deviendra en effet peu à peu la première base pour les fuyards du Luxembourg désireux de passer au Portugal, en Angleterre, ou ailleurs. Dans un premier temps, ces fugitifs d’un Luxembourg sous la botte allemande seront surtout des juifs et des antifascistes, mais ensuite la plupart seront de jeunes gens réfractaires à l’enrôlement dans la Wehrmacht ou voulant lutter contre les Nazis.(3) Charles Marx, qui a fondé lui-même un petit groupe de résistance avec une filière d’évasion, la "Ligne Charlotte", leur fait avoir des faux papiers et leur procure du travail chez les fermiers en attendant le moment du "passage". Ensuite il les fait soit fuir vers la Grande-Bretagne ou le Portugal via les cols des Pyrénées et l’Espagne, soit retourner au pays pour établir contacts avec et surtout entre les différents groupes de la Résistance. (h, q)

En juin 1942 Marx établit le contact avec le réseau Mithridate du B.C.R.A. (Bureau Central de Renseignement et d’Action) de Charles de Gaulle, ce qui lui permit d’établir deux filières de communication entre Luxembourg et Londres: la "Ligne Elisabeth" et, bien entendu, la "Ligne Charlotte", à laquelle participait aussi Albert Ungeheuer et dont Charles Reiffers et Eugène Léger étaient les courriers. C’est justement par cette voie que deux rapports du docteur Schwachtgen sur les essais secrets de fusées à Peenemünde purent arriver à Londres.

Après l’occupation de la France de Vichy par la Wehrmacht le 11 novembre 1942, la situation de Charles Marx à Quillan devint difficile. Impossible dans ces conditions d’avoir pignon sur rue! Il céda donc la clinique et rejoignit l’organisation "Combat et Franc-tireur" de la Résistance, fondée par Jean Cavaillès et Emmanuel d’Astier (mieux connu sous le pseudo de Bernard), et présidée dès mars 1942 par Jean Moulin. (h, q, w)

En mai 1943 Marx organisa le maquis de la Haute Vallée de l’Aude, et quitta définitivement Quillan en juillet, car serré de fort près par la Gestapo. Cette fois, ce qui l’attendait était bien pire que les deux années de tôle écopés au Luxembourg. Il sera en effet condamné peu après à mort - une fois de plus par contumace - à la demande des Nazis par un tribunal de Montpellier, et, archiconnu et archi-fiché, il sera obligé de plonger dans une clandestinité complète. C’est Louis Knaff qui le remplacera à la tête la filière d’évasion. (c, h, t)

En 1944 Marx devient médecin commandant des FFI (Forces Françaises de l’intérieur) et chef de l’administration sanitaire de la Résistance pour la région Aude et Pyrénées Orientales dans la zone France Sud. Il organise notamment tout un réseau de cliniques secrètes pour résistants blessés, dont celle de Sargelat en Dordogne avec son ami, le docteur Schumacher. Il fit donc partie avec le docteur Schumacher de ceux qu’on appela "médecins de la liberté", à l’instar de ces autres médecins de la Résistance que furent Robert Debré (4), ou Paul Milliez (5).(c, h, i)

Les 2 et 3 septembre 1944 Marx participera comme commandant des FFI à la bataille de libération de Lyon. En octobre 1944 il est appelé à Paris pour occuper le poste de Délégué du Conseil Médical de la Résistance et Attaché au Cabinet du Ministre de la Santé, sous les ordres du Secrétaire d’État Louis Pasteur Valery-Radot. En Novembre 1944 il se réengage dans l’armée française jusqu’à l’armistice et organise des structures militaro-chirurgicales franco-américaines.(c, n)

En août 1945 il rentre au Grand-duché, est candidat aux élections législatives du 21.10.45 et devient député (parmi 5 communistes élus) en remplacement de Fritz Schneider (inéligible en tant que fonctionnaire). Le KPL le charge de remplir le mandat de Ministre de l´Assistance sociale et de la Santé publique (Assistance sociale, Santé publique, Etablissement thermalde Mondorf-Etat, Rapatriement, Education physique) dans le gouvernement d’union nationale du 14 novembre 1945, qui lui a été accordé. (c, f, g, y)

Le ministre communiste Charles François Frisch Antoine Schroeder

On peut lire dans le Escher Tageblatt du 17 novembre un article, "Du haut du perchoir", sur le nouveau gouvernement. M.R.(Michel Rasquin), après avoir dûment "massacré" Joseph Bech (le monsieur "loi muselière") et s’être méchamment moqué de Pierre Dupong, (ce même Premier qui avait "au moins" permis en 1940 que l’on poursuive Marx en justice), y constate ironiquement, que Karl Marx est malheureusement obligé d’être assis auprès de monsieur Schaus au lieu de siéger à côté de Engels.(a, s).

Mais l’ironie de Rasquin, pourtant bien moins virulente envers Charles Marx qu’à l’égard des autres ministres, exprimait tout de même de forts doutes quant aux facultés politiques de ce... médecin. Ces craintes s’évaporeront toutefois rapidement dans les brumes du "journalisme" spéculatif. Car, s’il est exact que Marx n’était pas ce que l’on entend communément par un politicien, il était par contre, justement, un authentique politique. Chef naturel et habile tacticien, dynamique, bouillonnant d’initiatives et n’hésitant jamais à prendre des risques, ainsi que toutes ses responsabilités, il ne lui manquait rien de ce que les gens attendent en réalité des politiques... mais trouvent si rarement chez eux.

Comme ministre, Charles Marx a repris en effet une Santé publique très négligée. On avait en somme accordé ce ministère "mineur" aux communistes comme une sorte de sinécure, un peu dans le genre "Soyez sages et ne vous faites pas trop remarquer!" Un autre en eût profité pour couler des journées tranquilles dans son bureau ministériel. Mais non un communiste dont trop de chantiers réclamaient l’ouverture, et surtout pas un Charles Marx. Celui-ci, loin de se plaindre que d’autres considèrent la Santé C la Cendrillon du Gouvernement, prit aussitôt le taureau par les cornes.

Malgré le budget dérisoire (moins de 1% du budget global) dont disposait le Ministère de la Santé et de l’Assistance publique, Charles Marx a mis en route toute une série de projets pilotes et a fait accomplir à la santé publique d’immenses progrès. Cela lui valut d’ailleurs, au-delà des clivages partisans, la reconnaissance d’une grande majorité de la population (6), ainsi que l’inévitable jalousie de maints adversaires politiques et de mesquins de tous bords.

Endéans très peu de temps, Charles Marx prit à bras-le-corps l’ensemble des problèmes posés par la santé de la population et l’assistance sociale, ainsi que par le rapatriement des exilés. Il sut trouver tous ceux qui étaient disposés à remonter leurs manches, trouver les mots pour les amener à le seconder, et rétablit rapidement des conditions réglées (en attendant, car "réglé" ne signifiait pas pour lui "souhaitable", dans un domaine où presque tout restait à faire). Ces premières mesures assurèrent pourtant déjà, en époque de grande pénurie, l’alimentation des enfants et leur assistance sanitaire, ainsi que l’envoi des plus faibles gratuitement en convalescence en Suisse, et permirent de réduire la mortalité infantile. Elles établirent aussi des visites médicales généralisées et assurèrent l’équipement satisfaisant des pharmacies.

Marx était effaré - on l’aura compris - non seulement par le manque de moyens alloués, mais aussi de l’état de désuétude dans lequel il trouva la Santé publique. Le Collège médical était basé sur une loi de 1901 et la Pharmacie sur une législation vieille de plus d’un siècle. Le plus urgent auprès de la population étant fait, Marx réorganisa la Santé en une structure étatique véritablement scientifique d’instruction, de réglementation et conseil, et redéfinit les compétences des inspecteurs médicaux, leur subordonnant le Laboratoire d’État comme outil scientifique primordial.

Il fit également voter une loi de planification hospitalière, rendit obligatoire la signalisation des maladies infectieuses, (que d’autres médecins luxembourgeois réclamaient depuis vingt ans, sans que rien ne fût entrepris) et jeta les fondements d’une véritable médecine préventive. Un "Conseil National pour la Protection de la Mère et de l’Enfant" fut crée selon ses instructions, dans lequel étaient représentés les ministères intéressés, les médecins, les instituteurs et les mères. Les bains thermaux de Mondorf, jusque là lieu de cure pour privilégiés, furent ouverts aux assurés sociaux, toutes classes et catégories de revenu confondues.

Mais au-delà, ou, plutôt, en deçà, de ses grands desseins, Marx ne négligeait point les détails. Il débarrassa par exemple l’institution des sages-femmes de maintes pratiques moyenâgeuses et organisa la formation pratique des jeunes médecins. Tout cela est, comme le note pertinemment Michel Plet-schette dans "1921-1981 Beiträge zur Geschichte der Kommunistischen Partei Luxemburgs", une problématique toujours d’actualité au Grand-duché. Car, si bien des avancées scientifiques - surtout importées de l’étranger - ont été réalisées depuis, dans le domaine social les progrès ont été assez minces après le retour des conservateurs à la Santé, et surtout le fait des pressions syndicales, mais certainement pas de la volonté politique.

Il semble en effet, que Marx se soit inspiré dans son action directement de la politique du "Front Populaire" de 1936, ainsi que des réformes mises en oeuvre en France par le Gouvernement d’Union Nationale. Cependant, plusieurs grands projets de Charles Marx, qu’il élabora avec l’assistance du docteur Charles Jones, se heurtèrent à l’opposition de droite au sein même du Gouvernement et du Parlement de l’époque, et ne seront réalisés que beaucoup plus tard; d’autres ne verront jamais le jour et d’autres encore seront ou se voient peu à peu remis en question.

En outre - même ses adversaires politiques les plus acharnés étaient bien obligés de le reconnaître - Charles Marx n’était pas un bureaucrate, mais un homme de terrain. Il parcourait sans trêve le pays dans tous les sens, parlait aux mères de famille, descendait dans les mines pour s’entretenir avec les mineurs de leurs conditions de santé et de travail, se rendait dans les usines et sur les chantiers, distribuait des brochures d’information et des tracts, et il créa des commissions consultatives. Pardessus le marché, il pratiquait tous les mercredis dans la Clinique d’Ettelbruck des opérations d’estomac, domaine, souvenez-vous, dont il avait fait sujet de sa thèse et où il se serait déjà distingué avant la guerre comme interne des hôpitaux de Paris.

Le docteur Robert Prussen d’Esch/Alzette, qui travaillait à l’époque à l’hôpital d’Ettelbrück, et qui est aujourd’hui l’un de derniers médecins à avoir connu personnellement Charles Marx, se souvient de lui comme étant quelqu’un de très gentil, agréable, et, en dépit de ses commandements durant la guerre, de ses distinctions et hautes fonctions, simple, toujours accessible et pas prétentieux pour un sou. Excellent chirurgien et médecin très consciencieux, il aurait toujours su placer le facteur humain au-dessus du politique (auquel il accorda néanmoins une importance certaine).

En un peu plus d’un an, Charles Marx parvint à constituer un intelligent réseau d’institutions, de solidarité et de directives. Celui-ci forma, dans la mesure où les forces politiques réactionnaires qui conduisirent le pays depuis sans discontinuer le permirent ou ne le sabotèrent pas, la base et l’essentiel de la politique médicale luxembourgeoise des "trente glorieuses". Mais n’oublions pas que, ces nouvelles bases ayant été jetées, sa politique médicale et de prévoyance lucide, clairvoyante et énergique put être efficacement poursuivie après sa mort par son successeur, Dominique Urbany, secrétaire général du KPL. Car c’est bien les idéaux humanitaires et humanistes du Parti Communiste Luxembourgeois qui auront inspiré Charles Marx dès son plus jeune âge et durant toute son existence mouvementée de médecin, de résistant et, enfin, de ministre. (a, i, d, u)

Le 13 juin 1946, au retour d’un voyage en France méridionale et à Paris, Charles Marx meurt avec sa femme Fernande (7) suite à un accident de voiture en Île de France, près de La Ferté-sous-Jouarre et de Meaux (Seine et Marne). Fernande, sa femme, est morte sur le coup. Charles décède à l’hôpital de Meaux, trois heures après l’accident, sans avoir repris connaissance. (e, j, p, r)

Au Luxembourg, où les corps des époux Marx furent transférés immédiatement après le décès de Charles, les drapeaux furent mis en berne dès le 14 juin, et le couple Marx fut inhumé le 17 à Luxembourg ville en présence du Prince de Luxembourg, des représentants de la Grande-duchesse, des membres du gouvernement, des principaux corps constitués, des camarades du parti et d’une foule nombreuse. (e, j, p, r )

"Je m’incline avec l’expression de ma plus haute estime devant la dépouille du grand patriote et résistant", s’exclama lors de la cérémonie funèbre, au cours d’un discours dithyrambique le premier ministre, Pierre Dupong, qui, à peine sept ans auparavant, en 1939, avait laissé faire un procès à Charles Marx à cause, justement, de son patriotisme. Hommage d’un habile politicien à un politique au grand coeur!

Rappelons que Charles Marx a été cité à l’Ordre du Jour du Corps d’Armée par le général Marie-Pierre Koenig avec Croix de Guerre et étoile de vermeil (8), décoré par les autorités françaises de la Médaille d’honneur du Service de la Santé Militaire, qu’il a reçu personnellement du Général de Gaulle la Médaille de la Résistance Française et a été nommé commandeur de la Légion d’Honneur. (9) Le Gouvernement luxembourgeois lui a en outre décerné la Croix de l’Ordre de la Résistance à titre posthume. Un peu comme... par contumace... une fois de plus. Sacré camarade Charles, va! (a, m, n, k, t)

Giulio-Enrico Pisani

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1) On attribue au jeune Charles Marx notamment ces phrases: "Les faits (historiques) et les hommes sont révolutionnaires, mais les chefs ne le sont pas. Pour cela, les chefs doivent descendre parmi les masses et se faire élever par leur caractère révolutionnaire à elles". (ces mots sont-ils effectivement de lui, ou repris/inspirés de...? - qu’importe!? Car, quoiqu’il en soit, il les pensait).

2) Henri Barbusse fonde Clarté en 1920. Citations: "A l’ulcère du monde, il y a une grande cause générale: c’est l’asservissement au passé, le préjugé séculaire qui empêche de tout refaire proprement selon la raison et la morale. / Combien de crimes dont ils ont fait des vertus en les appelant nationales! / Faut tuer la guerre dans le ventre de tous les pays. / L’avenir est dans les mains des esclaves. / Le réel et le surnaturel, c’est la même chose. / On ne peut pas plus regarder face à face la destinée que le soleil et pourtant elle est grise. / Si on nous enlevait tout ce qui nous fait mal, que resterait-il?"

3) Dans "Fluchtwege", Henri Wehenkel cite parmi ces réfugiés notamment Fernande, la femme de Charles, mais aussi Emile Marx, Lily Marx, Marcel Kremmer, Hubert Laplanche, le brigadiste Emile Krier, Charles Reiffers, Nic Gengler, Eugène Léger, Frl. Margot, soignante luxembourgeoise, Alfred Manderscheid, Edi Ramboux, le dr. Schumacher et Emile Krieps. Raymond Biren nomme en outre dans "Jacques der Unentwegte" également le caricaturiste de AZ (et plus tard du Tageblatt), Albert Simon.

4) Mobilisé en 1939, le professeur Robert Debré est fait prisonnier en juin 1940, mais s’évade peu après. En 1940, 1941 et début 1942, il participe de diverses façons à la Résistance. Membre du Comité général d’études et du mouvement "Ceux de la Résistance", il est contraint, début 1943, à la clandestinité. Il vivra désormais sous plusieurs noms, notamment celui de Jacquier. Il sera, en juillet 1943, chargé par le gouvernement du général de Gaulle de la nomination de préfets et commissaires de la République pour le jour de la Libération. En août 1944, il est lui-même commissaire de la République pour la région d’Angers.

5) Le professeur Paul Milliez était aussi un des créateurs de la Fondation nationale pour la recherche médicale, mais il se fit également connaître par ses nombreux combats pour les libertés démocratiques en France et dans le monde, poursuivant une lutte commencée dès 1935 contre le fascisme, prolongée dans la Résistance pendant l’Occupation (www.humanite.fr/journal/1994... 1994-06-15-702650) Il a laissé plusieurs livres, dont "Médecin de la liberté" (1980, réédité en 1982, Le Seuil), "Du bon usage de la vie et de la mort" (1983), "Ce que je crois" (1986) et "Ce que j’espère" (1986).

6) Progrès médicaux et sociaux, qui ont amélioré la condition des classes populaires et moyennes inférieures du Grand-duché, et qui nous ont accompagné durant un demi siècle, avant que le facteur social commence à en être remis en question, contesté, puis limé, grignoté, rogné par les gouvernements aux commandes depuis les années quatre-vingt-dix, le processus tendant à s’accélérer.

7) Fernande Marx était cofondatrice de l’UFL, Union des Femmes Luxembourgeoises, qu’elle représenta au 1er congrès mondial de l’Union Internationale Démocratique des Femmes, où elle fut élue déléguée permanente du Luxembourg auprès du Comité Mondial des Femmes.

8) Ordre Général Nr.513: Le Général de corps d’armée König Commandant en chef Français en Allemagne, Ex-Commandant des F.F.I., cite à l’Ordre des F.F.I. MARX Charles Médecin-Commandant - Clinique Chirurgicale St. Louis Ettelbruck (Gr-d. de Luxembourg) pour le motif suivant: "Chirurgien d’une haute valeur morale et professionnelle qui a préféré quitter son pays que de vivre sous le joug de l’ennemi. Résistant de la première heure qui a su s’imposer à tous par son calme courage et son sang-froid à toute épreuve, toujours sur la brèche, n’hésitant pas à payer de sa personne aux instants les plus critiques. Il a consacré une inlassable activité à la cause de la Résistance; a été un des artisans de la mise en place du Service de Santé de la Résistance en Zone Sud. A donné à tous les plus beaux exemples de courage et d’abnégation dans la lutte contre l’envahisseur. Ces citations comportent l’attribution de la Croix de Guerre avec Étoile de Vermeil!" (l, p)

9) Charles Marx n’en saura rien. Car, s’il savait avoir été proposé comme Commandeur de la Légion d’Honneur, sa nomination ne parvint à l’Ambassade de France à Luxembourg qu’en son absence (en voyage ou déjà décédé?)(o). Il n’aura donc jamais été recevoir sa Légion d’Honneur.

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Liste de mes principales sources concernant les paragraphes précédant leur mention, sources que j’ai parfois complétées ou accrues grâce à d’autres sources (personnes, Internet, encyclopédies, etc.): a) 1921- 81 Centre J. Kill 1981: Beiträge z. Geschichte der Kommunistischen Partei Luxemburgs. p. 203 b) id. p. 204 c) id. p. 206 d) id. p. 206 - 208 e) id. p. 208 f) Archives du Gouvernement g) id. et Illustre’erten Kalenner vum Letzeburger Vollek 1948 h) Fluchtwege / Der antifaschistische Widerstand in Luxemburg 1933-44, compilation H. Wehenkel i) D’Unio’n 14.6.1946 j) D’Unio’n 15.6.1946 k) D’Unio’n 18.6.1946 l) D’Unio’n 23.4.1945 m) Die Volksstimme n.59 - 3.11.1945 n) Die Volksstimme n.61 - 17.11.1945 & Journal Officiel 19.10.45 o) Die Volksstimme n.24 - 15.6.1945 p) Die Volksstimme n.25 - 22.6.1946 q) Rappel (Revue de la L.P.P.D.) No 9+10 sept/oct. 1986 r) Revue, Letzeburger Illustre’ert n.12/1946 s) Escher Tageblatt n.262 - 17.11.1945 t) Raymond Biren: "Jacques der Unetwegte" chap.6 u) François Frisch am 1948 Illustréerten Kalenner vum Lëtzebuerger Vollek v) www.hopital-saint-louis.lu/f... w) www.ordredelaliberation.fr/f... x) Evy Friedrich: Zeitungen in Luxemburg. Chronologischer Überblick. 1975 Bourg-Bourger Luxembourg cité dans www.land.lu/html/dossiers/do... y) Mémorial du Grand-Duché de Luxembourg 20.11.1945, article 1, VIII. z) Bibliothèque Nationale du Luxembourg: Marx, Charles: Le fonctionnement de l’estomac après gastrectomie, Paris : Louis Arnette, 1935, 259 p. ill.; Travail de la Clinique chirurgicale de l’Hôtel-Dieu